cité universitaire de Fès, Dhar El Mahraz. Evitant le soleil brûlant de ce mois de juin, les étudiants se regroupent dans les buvettes et les bibliothèques de l'université, peaufinant les derniers détails des préparations pour les prochains examens. Ces révisions ont été perturbées par des événements qui ont placé une nouvelle fois cette université sous les feux de l'actualité. Le dernier en date a été l'expulsion de la cité universitaire par un groupe d'étudiants, d'un collègue homosexuel à l'issue d'un "procès" qui a duré près de trois heures et demie.
Un verdict populaire ?
Des quotidiens s'en sont fait l'écho, parlant d'une persécution orchestrée par les étudiants islamistes, particulièrement ceux de l'organisation Attajdid. Ce que réfutent les responsables de l'organisation à l'université. « Cet étudiant est connu dans la cité universitaire pour son comportement délinquant. Nous avons recueilli des témoignages d'étudiants de la cité qui ont eu des rapports sexuels avec cette personne et d'autres qui ont été victimes de son harcèlement. Les résidents de la cité se sont sentis touchés dans leur dignité et ont décidé, à la demande de l'homosexuel, de porter cette affaire devant les autres étudiants afin de statuer sur son cas », raconte Rachid Adouni, de l'organisation Attajdid. Selon Rachid, c'est devant quelque 400 étudiants que l'étudiant incriminé avouera son homosexualité et ses nombreuses aventures avec les touristes étrangers… « La grande majorité des étudiants lui a demandé alors de quitter la cité parce qu'ils le considèrent comme une menace pour leur culture. Et ce ne sont pas les islamistes qui l'ont fait comme l'ont prétendu quelques journaux qui ont pour seule ligne éditoriale la volonté de nuire aux partis islamistes », explique M. Adouni. Il ajoute : « Notre position en tant qu'organisation par rapport au phénomène de l'homosexualité, comme celui de la consommation de l'alcool et de la prostitution est très claire. Nous sommes totalement opposés à cette dérive que nous considérons étrangère aux mœurs et valeurs de notre société. Et nous sommes prêts à la combattre grâce à des activités de sensibilisation ». Il est difficile de recueillir des témoignages d'étudiants "indépendants" par rapport à ce sujet en particulier. La peur est perceptible. Pour les étudiants d'Annahj qui n'hésitent pas à revendiquer la violence comme choix stratégique, "dans le cadre de l'intérêt général des étudiants", l'affaire de l'homosexuel exclu de la cité a été menée par les islamistes d'Attajdid, dans le cadre d'un "Inzal" (mobilisation des militants).
La nuit du procès
Dans la place de la cité qui porte le nom de 20 janvier, commémorant l'affrontement de 1988 avec les forces de l'ordre qui a fait les "premiers martyrs" dans le camp des étudiants, les militants d'Annahj se regroupent traditionnellement près de la bibliothèque. Mohammed, étudiant en économie et résident à la cité universitaire, se souvient de cette nuit du procès : « Il y avait un nombre imposant d'islamistes, étudiants et d'autres barbus qu'on n'a jamais vus à la cité. Ils étaient armés. La preuve, ils portaient des vestes pour cacher leurs couteaux. Ils ont empêché les autres étudiants de prendre la parole. Personnellement, je connais cet étudiant homosexuel depuis trois ans. Je n'ai jamais entendu dire qu'il avait eu des relations sexuelles à l'intérieur de la cité universitaire. Même eux, ils ne l'ont pas prouvé devant l'assistance, la nuit du procès ». L'étudiant ira plus loin. Il assurera que l'ouverture du procès s'est faite au nom de la composante Attajdid, qu'on avait confisqué à l'étudiant sa carte d'identité nationale et sa carte d'étudiant et que les 24 propositions de jugement ont été prononcées par des islamistes. Cet étudiant qui était flanqué par le "boss" d'Annahj à l'université de Fès, Mohamed El Youbi, s'est plaint également d'avoir été exclu de cette halakiya (procès).
« Règlements de compte »
« Les procès font partie de la tradition estudiantine. C'est même un procédé démocratique pour régler les conflits entre étudiants. Notre société est violente et les étudiants sont à son image. C'est pour cela que les procès virent généralement aux règlements de compte où la partie la plus faible est celle qui est persécutée », explique Bennour Houcine, membre de la section locale de l'AMDH. Ces procès sont loin d'être justes. Ils sont organisés par un des deux mouvements estudiantins, gauchiste ou islamiste, desquels l'autre partie est de facto exclue et sont donc loin de se conformer aux conditions d'un jugement équitable. Un jugement auquel l'étudiant mis en cause doit se conformer sinon, il risque la violence physique.
C'est donc une forme de "siba" qui s'est installée dans l'univers de l'université de Fès. Les policiers ne s'aventurent jamais dans ces lieux sauf dans des cas exceptionnels. Et quand ils interviennent, ils sont reçus par les jets de pierre, de bouteilles vides et les affrontements finissent dans un bain de sang. L'université enregistre également des incidents entre étudiants de différentes factions, les gauchistes incarnés par Annahj barnamaj marhali (programme transitionnel) et islamistes (essentiellement Al Adl Wal Ihssane mais aussi l'organisation d'Attarder). Une violence qui a fait durant ces vingt dernières années des dizaines de blessés. "Le problème dans ces affaires c'est que les victimes refusent de porter plainte à la police. C'est leur honneur qui est en jeu", explique cet observateur des affaires estudiantines. Selon lui, toutes les factions de l'UNEM à Fès, islamistes ou gauchistes, ont à un moment utilisé la violence dans leurs luttes intestines. Pire, au sein de la même composante, si une voix s'élève contre une décision prise par les dirigeants comme dans le cas du boycott des examens l'année passée, l'étudiant risque d'être battu et de voir sa carte d'étudiant confisquée.
Partir ou être dépecé…
L'homosexuel en question a fait les frais de ces procès. Il a accepté de témoigner tout en gardant l'anonymat. Il parle de son parcours à la faculté d'économie, de ses amitiés à la cité universitaire et le respect que lui vouent ses camarades qu'il connaît depuis six ans. Il avoue son homosexualité mais insiste sur le fait qu'il ne l'a jamais pratiquée à la cité, contrairement à ce qu'avancent les islamistes. « Je me souviens de cette soirée du 23 mai comme si c'était hier. J'étais assis avec des amis en train d'écouter de la musique. Quatre étudiants barbus m'ont approché et ont demandé à me parler en privé. Ils m'ont questionné sur mon orientation sexuelle. Je leur ai répondu qu'effectivement, je suis homo. Ils m'ont alors ordonné de quitter immédiatement la cité universitaire me comparant à un virus qu'il fallait exterminer », raconte-t-il, la gorge nouée. Le groupe va alors le sommer de quitter les lieux sinon il risque d'être battu et découpé en morceaux. « Ils m'ont parlé d'enregistrements qu'ils ont recueillis auprès d'étudiants avec lesquels j'ai eu des relations sexuelles. Ce sont des mensonges puisqu'ils n'ont, à aucun moment, pu produire une seule preuve de ces allégations », poursuit-il. Il va alors les supplier de l'autoriser à passer au moins la nuit avant de trouver un autre endroit. Ce qui lui sera refusé. « Ils m'ont confisqué ma carte d'étudiant. A ce jour, on ne me l'a pas rendue. Je suis allé chercher mes affaires, escorté par trois islamistes. C'est à ce moment-là que j'ai senti une grande injustice et j'ai demandé alors de soumettre mon cas à l'ensemble des étudiants », se souvient-il. La "halakiya", selon lui, sera une parodie de justice. Il y sera décrit comme un défi à la virilité de tous les résidents… « Ils ont voulu ameuter les étudiants qui n'avaient pas le droit à la parole. Pour ma part, je leur ai tout simplement dit que je suis homosexuel et que des centaines de milliers de Marocains le sont. Et que je ne représente surtout pas un danger pour les autres étudiants. A la fin, ce ne sont pas des étudiants qui m'ont condamné mais des racistes », s'enflamme-t-il. Le verdict a été le suivant : 13 étudiants se sont prononcés pour son expulsion de la cité universitaire, 5, pour son expulsion de l'université, 4, pour son expulsion de la ville de Fès et deux, pour la peine de 20 coups de fouet avec expulsion de l'université ! « J'ai le droit d'être un étudiant comme les autres, d'avoir un travail et de mener une vie normale. J'ai surtout envie de passer les examens, fin juin, sans être victime d'une agression », conclut-il, la voix tremblante.
d'apres Le journal Hebdo
serieusement j'en ai la nausée...
samedi, juin 24, 2006
Inscription à :
Articles (Atom)